La plateforme Netflix diffuse à partir de demain The Eddy une nouvelle série qui a pour cadre et pour cœur un club de jazz parisien. PAM a visionné les deux premiers épisodes. Revue critique.
La vie du jazz. C’était le titre d’un rendez-vous culte de Jazz Magazine au vingtième siècle. C’est une partie du propos de The Eddy, une série diffusée sur Netflix à partir du 8 mai dont on a pu visionner les deux premiers épisodes, les deux seuls réalisés par l’oscarisé Damien Chazelle. Forcément, ça fait teaser quand on sait que l’homme derrière la caméra a signé Whiplash, un long métrage autour d’un apprenti batteur qui n’était pas sans faire débat critique malgré son succès public, et La La Land, comédie musicale dans toutes les largeurs hollywoodiennes au succès mondialisé. Deux films marqués par une certaine vision romantique du jazz.
Aidé de plusieurs autres coauteurs, le Franco-Américain a de la suite dans les idées en prenant cette fois pour cadre de sa série l’espace d’un club à Paris, l’autre capitale du jazz comme on dit. Son nom, « The Eddy » donc, un lieu qui a « connu des jours meilleurs » selon le dossier de presse, pour lequel deux associés donnent tout : Farid, qui va rapidement disparaître, et Elliot Udo, un pianiste new-yorkais échoué à Paris. C’est ce dernier qui tient le premier rôle : tout, de l’orchestre maison aux histoires connexes qui jalonnent la narration, tourne autour de lui. Ce n’est pas plus mal, vu les qualités d’interprétation de l’acteur qui le campe (André Holland).
L’introuvable club d’une introuvable époque
Pour le reste, malgré les qualités d’autres comédiens, on peine à tout à fait s’y retrouver dans ce club, censé être situé dans le Nord-est parisien. En vrai, on n’en a jamais croisé des comme ça : au mieux, on pourrait y voir un écho de ce que fut le Hot Brass des années 1990. Toujours l’autre siècle. Si Damien Chazelle a semble-t-il fait le tour des principaux lieux qui font les nuits jazz par ici, il a finalement préféré construire de toutes pièces The Eddy dans les studios de la Plaine Saint-Denis. Résultat, un truc plein de réverb’ mais pas assez de vibes, qui sonne un peu carton-pâte. Normal, diront non sans raison certains, c’est une fiction. C’est en fait un fantasme, tout comme ce qui s’y joue : la bande originale signée par le mutligramminé Glenn Ballard et Randy Kerber, pianiste à l’épais CV made in Hollywood, donne à entendre — dans les deux premiers épisodes, attendons la suite — une vision « idéalisée » du jazz d’autrefois. Du hard bop revivaliste interprété par le combo maison : The Eddy Cast Band, qui réunit le batteur Lada Obradovic, le bassiste Damien Nueva Cortes, le saxophoniste Jowee Omicil, Ludovic Louis à la trompette, Randy Kerber au piano, et la chanteuse Joanna Kulig.
Le genre de bidule qui fit son effet et eut sa mode voici un quart de siècle dans nos contrées, rien qui fasse sens aujourd’hui. A-t-on d’ailleurs récemment vu en club des bandes de jeunes danser comme des oufs sur ce genre de musique à papa ? C’est ce que l’on découvre en regardant The Eddy. C’est une fiction, qui n’évite pas certains clichés ni carte postale, même quand il s’agit de filmer le Nord-est parisien. On aurait préféré avoir la version de David Simon (Treme se situe à l’exact opposé en termes de démarche), plus documentée, plus au cœur de réalités complexes, et finalement plus intrigante. Sentiments partagés par Sébastien Vidal, à la tête de TSF Jazz et du Duc des Lombards, qui nuance nos impressions mitigées. « Comme toujours avec Damien Chazelle, le jazz n’est pas son sujet. Il faut bien l’entendre. Le sujet, c’est la passion qui consume la vie des gens. C’est en cela que cette série touchante. Et cela me renvoie à mes 18 ans, ce que je voyais à travers certaines personnes dans la nuit du jazz, qui étaient à fond, qui avaient tout perdu, qui avaient des enfants très éloignés. Des destins de personnages qui n’ont plus que le club comme lieu de vie, famille et socialisation. » Certes, c’était la vie du jazz parisien dans l’autre siècle, pas sûr du tout qu’elle soit toujours d’actualité.